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Obtenir un RDV en préfecture? Le parcours du combattant

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Pourquoi le rendez-vous en préfecture est-il compliqué à obtenir ?

Sommaire:

  • L'importance du titre de séjour

  • De l'attente en file à l'attente en ligne

  • La double intervention récente du Conseil d'État

  • La tentation législative de la dématérialisation totale

L'importance du titre de séjour


Peu de documents administratifs ont une incidence aussi concrète sur la vie d’un étranger qu’un titre de séjour. Avec ce précieux sésame en sa possession, l’étranger n’a plus à craindre ni le placement en centre de rétention ni l’éloignement du territoire national. Il pourra même travailler en toute légalité, à condition, naturellement, que le titre qui lui a été délivré l’y autorise. Et il pourra bénéficier de certaines prestations sociales dans les mêmes conditions que les nationaux.



Pour que l’étranger obtienne son titre de séjour ou un renouvellement de son titre, une étape préalable est exigée : les étrangers doivent obligatoirement se présenter physiquement en préfecture, afin d’y déposer leur dossier de demande d’un titre de séjour. Il résulte de cette obligation, qui découle de l’article R. 311-1 du CESEDA, qu’un dossier transmis à la préfecture sans présentation personnelle du requérant – par exemple par courrier – ne sera très probablement pas traité par l’Administration, et ce même si le dossier est complet. Et le très probable refus de délivrance du titre de séjour sera très difficilement contestable devant le juge administratif compétent, car l’absence de présentation personnelle du demandeur est, à elle seule, un motif suffisant pour justifier le rejet de la demande.

La présentation personnelle du demandeur en préfecture pour déposer son dossier de demande est une étape indispensable et incontournable de la procédure de demande d’un titre de séjour. Si cette exigence n’apparaît pas de jure absolument contestable, elle est toutefois de facto devenue quasi-impossible à remplir par les étrangers, en raison de ce que, tout simplement, les guichets des préfectures sont, de facto, devenus inaccessibles ou presque.

De l’attente en file à l’attente en ligne

Une difficulté qui n'est pas récente.

La difficulté pour accéder aux guichets des préfectures n’est malheureusement pas nouvelle. Toutefois, dans beaucoup de préfectures, cette difficulté ne se présente pas tout à fait de la même façon que par le passé. Avant le début des années 2010, les préfectures étaient dans l’incapacité matérielle de recevoir toutes les personnes qui se présentaient à leur guichet pour déposer leur dossier, de sorte que se formaient d’interminables files d’attente devant les locaux de l’Administration. Afin de remédier à cette situation contestable, une circulaire du 4 décembre 2012 du Ministère de l’Intérieur invitait les préfectures à instaurer un système de prise de rendez-vous préalable, par le biais d’un site internet dédié. Le 3 janvier 2014, une nouvelle circulaire du Ministère de l’Intérieur encourageait à nouveau les préfectures à développer la prise de rendez-vous préalable en ligne. La dématérialisation était ainsi présentée par le Ministère de l’Intérieur comme l’une des solutions possibles au problème de l’accueil des étrangers.

L’objectif n’a pas été atteint, bien au contraire. Le système de prise de rendez-vous préalable en ligne, mis en place par plusieurs préfectures, notamment en Île-de-France, s’il a permis de réduire les files d’attente physiques, est loin d’avoir résolu le problème de fond. Il n’a fait que le déplacer, voire l’aggraver. Les étrangers n’arrivent tout simplement plus à se rendre en préfecture pour y déposer leur dossier. En effet, à ce jour, les demandeurs ont beau se connecter plusieurs fois par jour durant plusieurs semaines voire plusieurs mois, les plateformes internet des préfectures, qui ont recours au système de prise de rendez-vous en ligne, affichent constamment le même message : « pas de plage de rendez-vous disponible. Veuillez réessayer ultérieurement ».

Ce constat, inlassablement dénoncé par les associations de défense des étrangers, est, aujourd’hui, largement partagé par les autorités publiques. C’est, d’abord, le Défenseur des droits qui a souligné le problème dans deux de ses rapports, l’un publié en 2016, l’autre au début de l’année 2019. Plus récemment, le Défenseur des droits regrettait à nouveau, dans une décision du 10 juillet 2020, que, dans certains départements, les étrangers avaient beau se connecter « à plusieurs reprises sur la plateforme », ils « constatent systématiquement qu’aucun horaire de rendez-vous n’est plus disponible ». Le Conseil d’État s’était également joint au constat en déplorant, dans un rapport publié en mars 2020, que « dans certains départements, les usagers qui se rendent quotidiennement sur les sites de prise de rendez-vous parviennent très difficilement à se connecter et les créneaux ouverts par l’administration sont presque instantanément remplis »

Un premier obstacle

Pour réussir à se présenter physiquement en préfecture pour y déposer leur dossier, les demandeurs de titre de séjour sont confrontés à un premier obstacle de taille : celui du délai qu’ils vont devoir subir entre leurs tentatives de connexion sur le site internet de la préfecture et l’obtention effective d’une date de rendez-vous pour déposer leur dossier. Un second obstacle vient se grever au premier, celui du délai compris entre l’obtention – miraculeuse - d’une date de rendez-vous et le rendez-vous lui-même. Il n’est en effet pas rare que le rendez-vous soit octroyé à une date très lointaine. Au total, si l’on additionne le délai d’obtention du rendez-vous au délai moyen de traitement d’une demande une fois la demande enregistrée lors de la prise de rendez-vous sur internet , alors la procédure dépasse le plus souvent les douze mois, surtout lorsque les étrangers se trouvent en situation irrégulière et qu’ils entendent déposer un dossier sur le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour.

Une situation illégale très préjudiciable pour les étrangers

Cette situation porte également atteinte à l’une des grandes « lois » du service public : le principe de continuité du service public, pourtant érigé en principe général du droit et même en principe à valeur constitutionnelle. Il est vrai qu’historiquement le principe de continuité du service public a essentiellement été mobilisé pour limiter le droit de grève des agents. Il n’a donc que peu d’incidences juridiques directes sur les usagers. Il n’en reste pas moins que le juge administratif reconnaît aux usagers un droit d’accès normal au service. Il est donc possible d’engager la responsabilité de la personne publique en cas de rupture de la continuité du service public, notamment lorsque celle-ci relève d’une carence systématique constitutive d’une faute de l’administration. Récemment, le Conseil d’État n’a ainsi pas hésité à confirmer l’engagement de la responsabilité de la puissance publique en raison d’une carence fautive dans l’exercice de sa mission de protection de la sécurité et de la tranquillité, et de maintien de la salubrité ou encore en raison d’une carence fautive dans l’accueil d’un demandeur d’asile.

En l’occurrence, les conséquences sur les étrangers de la carence fautive de l’État sont nombreuses. Le demandeur en situation régulière qui entame une procédure de délivrance d’un premier titre ou de renouvellement de son titre de façon parfaitement diligente peut se retrouver en situation irrégulière, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner sur sa situation : perte de son droit au séjour mais aussi de ses droits sociaux et de son droit au travail. Quant à l’étranger en situation irrégulière qui réunit toutes les conditions pour être régularisé - notamment au regard de la fameuse circulaire du 28 novembre 2012

La carence de l’Administration prolonge indûment sa situation d’irrégularité avec, là aussi, des conséquences importantes sur ses droits sociaux ainsi que sur son droit au travail. Combien de milliers d’étrangers en situation irrégulière ont-ils, en raison des délais administratifs déraisonnablement longs, perdu l’opportunité de faire valoir une promesse d’embauche pour voir régulariser leur situation ?
« À guichets fermés »
Des dizaines de milliers d’étrangers demeurent dans l’impossibilité de déposer leur demande de titre de séjour en préfecture


La double intervention récente du Conseil d’État

Les acteurs qui changent cette situation

À ce jour, afin de remédier à cette situation, les associations et les avocats qui défendent les étrangers ont essentiellement saisi la justice administrative pour obtenir auprès des préfectures des rendez-vous à brève échéance. Les nombreux recours contentieux déposés en ce sens ont donné lieu, durant l’été 2020, à une double intervention du Conseil d’État, d’abord, dans un arrêt du 10 juin, puis dans un avis contentieux du 1er juillet. Dans son arrêt puis dans son avis, le Conseil d’État, après avoir constaté qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni qu’aucun principe ne fixait de délai déterminé dans lequel l’autorité administrative serait tenue de recevoir un étranger ayant demandé à se présenter en préfecture pour y déposer sa demande de titre de séjour, a posé le principe selon lequel il incombe à la préfecture de recevoir l’étranger dans un délai raisonnable. De ce principe du délai raisonnable, le Conseil d’État a fait découler deux conséquences concrètes sur le plan contentieux. Il a exposé la première dans son arrêt du 10 juin et la seconde dans son avis du 1er juillet.

Premièrement, concernant l’obtention d’une date de rendez-vous, il a souligné, dans l’arrêt du 10 juin précité, que l’étranger peut demander « au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre au préfet de lui communiquer, dans un délai qu’il fixe, une date de rendez-vous » (cons. 4). Le « Conseil d’État ouvre ainsi une nouvelle possibilité d’application du référé mesures utiles dans l’hypothèse où un étranger se trouve dans l’impossibilité d’obtenir une date de rendez-vous en se connectant au site de la préfecture »

La Haute juridiction ajoute, d’une part, que si la situation de l’étranger le justifie, le juge du fond peut préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu et, d’autre part, qu’il peut fixer un délai bref en cas d’urgence particulière. Pour obtenir une telle décision du juge, le requérant étranger devra démontrer, en premier lieu, que son recours répond aux conditions de recevabilité du référé mesures utiles de l’article L.521-3 du CJA et, en second lieu, « qu’il n’a pu obtenir une date de rendez-vous, malgré plusieurs tentatives n’ayant pas été effectuées la même semaine » (cons. 4). Les conditions du référé de l’article L. 521-3 du CJA étant ici relativement faciles à établir, toute la question est de savoir, d’une part, durant combien de semaines l’étranger doit avoir tenté d’obtenir à plusieurs reprises une date de rendez-vous et, d’autre part, comment il peut prouver qu’il a effectivement bien réalisé plusieurs tentatives aux fins d’obtenir un rendez-vous. Concernant la première question, qui aurait sans doute mérité plus de précision de la part du Conseil d’État, on peut se référer aux conclusions du Rapporteur public selon lesquelles le demandeur devra prouver qu’il a effectué plusieurs tentatives d’obtention d’un rendez-vous pendant au moins un mois. Concernant la seconde question, un moyen de preuve recevable pourrait être les captures d’écran du site de la préfecture indiquant qu’il n’existe pas de date de rendez-vous disponible, mais aussi les courriers envoyés en vain à la préfecture faisant état de l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous par internet.

Des échéances trop lointaines

Secondement, concernant le rendez-vous fixé par la préfecture à une échéance trop lointaine, le Conseil d’État précise, dans son avis contentieux du 1er juillet 2020 précité, que le requérant peut demander au juge administratif d’enjoindre au préfet d’avancer la date dudit rendez-vous. S’il est vrai que le Conseil d’État a souligné que le choix de la date de « la convocation de l’étranger par l’autorité administrative à la préfecture afin qu’il y dépose sa demande de titre de séjour (…) ne constitue pas une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir » (cons. 6), il n’en reste pas moins qu’il a également établi deux voies de recours pour faire avancer la date du rendez-vous fixé par la préfecture à une date déraisonnablement éloignée. La première voie consiste à faire naître une décision implicite ou explicite de refus d’avancer le rendez-vous. Une fois saisi pour connaître de la légalité de la décision de refus, qui, elle, fait indubitablement grief au requérant étranger, le juge de l’excès de pouvoir devra exercer « un contrôle normal sur le respect du délai raisonnable, qui doit s’apprécier notamment en fonction de la durée et des conditions du séjour de l’étranger en France, de la date et du fondement de sa demande de titre de séjour et de sa situation personnelle et familiale » (cons. 10). Si, en se fondant sur ces éléments d’appréciation, le juge conclut à l’annulation du refus de modification de la date de rendez-vous initiale, il pourra enjoindre au préfet de proposer à l’usager, dans un délai qu’il fixe, une nouvelle date de rendez-vous en prenant en considération, dans la fixation de ce délai, les « capacités de traitement de la préfecture concernée » (cons. 12). Si la situation de l’étranger le justifie, le juge pourra également préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu.


Le requérant pourra aussi, si les conditions dudit référé sont réunies, assortir son recours au fond d’un référé-suspension dans lequel il pourra demander au juge d’enjoindre au préfet d’avancer la date du rendez-vous. La seconde voie, plus rapide que la première, consiste, comme en ce qui concerne le recours tendant à obtenir une date de rendez-vous, à saisir le juge sur le fondement du référé régi par l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, c’est-à-dire le référé mesures utiles. Si cette voie est plus rapide, c’est parce que, dans cette hypothèse, par définition, le requérant n’aura pas à attendre une décision de refus implicite ou explicite d’avancer le rendez-vous pour saisir le juge administratif qui, s’il considère remplies les conditions du référé mesures utiles ainsi que les éléments d’appréciations énoncés plus haut, pourra enjoindre au préfet d’avancer la date précédemment proposée.  

La tentation législative de la dématérialisation totale


Le rôle du juge administratif

L’intervention du juge administratif pour contraindre l’Administration à recevoir l’étranger dans un délai raisonnable, si elle est bienvenue, n’est pas une solution pérenne au problème que rencontrent actuellement les préfectures, car elle dénature « l’office du juge, qui intervient pour résoudre des difficultés de gestion administrative des flux ». La solution définitive passe-t-elle par une dématérialisation totale de la procédure de délivrance des titres de séjour ? C’est bien la position du Gouvernement, lequel entend mettre en place, d’ici 2022, un nouveau service de dépôt en ligne des demandes de titres de séjour. Concrètement, l’objectif est que les étrangers n’aient plus à se rendre en préfecture pour déposer un dossier de demande de titre de séjour.

Cette solution, initiée par la loi du 17 juin 2020, n’est pas sans soulever certaines questions. Ces questions portent, en premier lieu, sur la valeur juridique et sur les conditions d’octroi des « documents provisoires dématérialisés qui remplaceront les récépissés au format papier ». En la matière, la loi précitée n’apporte aucune précision. Le Gouvernement, à l’image du Rapporteur de la loi précitée, semble considérer que « les modalités concrètes de délivrance de documents autorisant provisoirement le séjour des ressortissants étrangers » ne relèvent « manifestement pas » du pouvoir législatif mais du pouvoir réglementaire. L’enjeu est pourtant de taille. Le récépissé de demande d’un titre de séjour, lui aussi délivré par la préfecture lors du dépôt du dossier de demande du titre de séjour, s’il ne préjuge évidemment pas de la décision qui sera prise par le préfet au regard de son droit au séjour, est investi d’importants effets juridiques, puisqu’il autorise la présence de l’étranger le temps que l’Administration se prononce sur sa demande. Il en résulte qu’aucune mesure d’éloignement ne peut être prise à l’encontre de l’étranger disposant d’un récépissé de demande de titre de séjour. Par ailleurs, l’étranger qui dispose de ce récépissé pourra, dans certains cas – ceux énumérés à l’article R. 311-6 du CESED – travailler le temps que l’Administration se prononce sur sa situation.

Ces questions portent, en second lieu, sur le maintien d’une alternative à la dématérialisation permettant aux étrangers de déposer leur dossier en préfecture. Une dématérialisation totale - qui exclurait de facto la procédure des milliers d’étrangers ne maîtrisant pas internet – semble en principe exclue, puisqu’elle n’est pas prévue par la loi et que toute disposition réglementaire tendant à instaurer une dématérialisation totale se heurterait à l’arrêt du Conseil d’État du 27 novembre 2019 précité. Toutefois, comme le montrent l’exemple de la préfecture de la Vienne ou encore les exemples récents de refus de guichet – c’est-à-dire de refus d’enregistrement d’un dossier lors des rendez-vous sous prétexte que le dossier n’est pas complet – il arrive régulièrement que les préfectures adoptent des pratiques manifestement illégales mais, parce qu’elles sont informelles, peuvent très difficilement faire l’objet d’une contestation devant le juge.


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